Les Poilus oubliés de la Grande Guerre

 

Un chien de l’armée britannique, en 1916 (Damon Cleary/CNRS 2013).

« Aux innombrables & humbles créatures de Dieu qui ont suivi les hommes, ont souffert & ont péri durant les dernières guerres. Avec fidélité & courage, elles ont beaucoup enduré & sont tombées pour nous. Sachons nous souvenir d’elles avec gratitude & affection. Que leurs souffrances & leur mort nous ammènent à savoir apporter plus de gentillesse & de respect aux animaux vivants »

Texte du monument érigé par Le Souvenir Français & la Western Front Association à Couin (Somme). 

D’aussi loin que nous pouvons remonter dans l’Histoire, les animaux ont toujours été utilisés en temps de guerre. La Première Guerre Mondiale ne déroge pas à la règle & ce n’est pas moins de 14 millions d’animaux qui ont participé à l’un des conflits les plus meurtriers du XXème siècle. Equidés, chiens, pigeons & même espèces exotiques ; tous ces soldats de l’ombre sont devenus ce qu’on appelle les Héros silencieux & je me charge, aujourd’hui, de vous narrer leur histoire.

ENRÔLEMENTS & PREMIERS CHOCS :

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Chevaux & cavaliers autrichiens évitant un cadavre équin (1914). En présence de leurs congénères morts, les chevaux paniquent. 

En Août 1914, les chevaux sont les premiers à être enrôlés, tout pays confondus. Nombre d’entre eux appartiennent à des particuliers ou agriculteurs (sauf aux Etats-Unis où les chevaux sont capturés dans les plaines sauvages). Ces animaux étaient emmenés devant des commissions de recrutement pour y être jugés par des inconnus avant d’être séparés de leur maître pour rejoindre les autres arrivés avant eux. Seuls les chevaux invalides & les pouliches étaient épargnés en France & en Allemagne. Pour les autres, la séparation était très douloureuse car les chevaux étaient souvent habitués au confort & à l’amour de leur famille humaine. Certains sont d’ailleurs vite abattus à cause de leur anxiété.

Côté canin, cela ne va pas mieux. En effet, si chaque pays les recrute différemment, la méthode française consiste à réquisitionner tous les chiens de la population âgés de 1 à 6 ans, qu’ils aient un foyer ou non. Les chiens errants sont traqués & capturés pour être amenés à des chenils de formation afin de devenir, par exemple, sentinelles, patrouilleurs, ou encore chiens de sanitaire. Comme les équidés, les chiens aussi sont soumis à un grand stress causé en partie par la séparation. À l’inverse, les chiens errants sont terrorisés par cette soudaine proximité humaine. Il n’est pas rare que les moins coopératifs soient tués.

Enfin, les pigeons, soldats volants indispensables pour la communication alors défaillante en temps de guerre (à cause des bombardements), sont plusieurs dizaines de milliers à servir leur pays. Issus de croisements & de sélections pour assurer le vol rapide ou long, ils ne sont pas touchés par un stress immense, mais sont quelque peu troublés par la rupture avec leur milieu initial.

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Pigeon équipé en 1914 par l’armée allemande d’un appareil photo à obturateur programmé.

LE QUOTIDIEN AU FRONT : 

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Photographie provenant du Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux.

« Je passais ma main sur l’échine pelée d’une des pauvres haridelles de notre « roulante ». Pauvre bête, disais-je […], tu ressembles à tes frères les hommes de la tranchée ! Tu peines & tu es condamnée. Je l’ai revue ce matin, ayant terminé son temps sur la Terre, les quatre fers en l’air & baignant dans son sang »

Maurice Drans, 21 Mars 1917.

Tout comme les « poilus », les animaux connaissent la dure réalité de la vie dans les tranchées. Les chevaux, ânes & mulets sont souvent attachés debout à une corde tendue, peu importe la météo, pour qu’ils ne connaissent qu’un sommeil partiel. Les couvertures prévues pour réchauffer les chevaux servent davantage aux hommes (en plus des leurs), qui sont aussi soumis au couchage « à la belle étoile ». Après Décembre 1914, les chevaux sont relogés dans des maisons quasi-détruites ou encore dans des écuries militaires où ils se reposent mieux & gagnent en moral. Malheureusement, ils rejoignent les ânes & mulets dans leurs conditions difficiles à chaque offensive, mais contrairement à leurs cousins, les chevaux bénéficient d’un brossage quotidien en raison du prestige social qui leur était accordé à l’époque (ce qui n’empêche pas les maladies & les blessures).

A défaut des chevaux, les chiens logent dans des conditions analogues, voire meilleurs que celles vécues avant la guerre (exception faîte pour les chiens de compagnie, habitués à la chaleur d’un doux foyer). A partir de la stabilisation du front, ceux qui officient dans les tranchées dorment dans des niches creusées à même le sol. Les autres, en repos ou travaillant à l’arrière, s’abritent généralement dans des chenils de fortune.

Pendant cette période, la Médecine Vétérinaire s’améliore & les soldats à poils ou à plumes sont soignés, voire même opérés. Néanmoins, tous les animaux ne jouissent pas des services vétérinaires. Beaucoup sont abattus d’une balle dans la tête dès leur arrivée ou à la suite d’une décision très relative, dépendant des moyens, du moment du conflit, des bêtes concernées, ou encore de la volonté humaine. En France & en Italie, l’abattage des chiens est plus élevé qu’ailleurs car il y a un profond désintérêt envers ces êtres, pourtant dévoués. Le Royaume-Uni fait figure d’exception. Les animaux sont plus facilement évacués, sans doute grâce à la présence d’engagés de la RSPCA (association de protection animale) sur le terrain.

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Chariot de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals, aidant les animaux blessés.

DÉVOTION & HÉROÏSME : 

Les pigeons voyageurs ont été précieux pendant certains événements du conflit. Ainsi, en 1916, ce sont eux qui annoncent, presqu’en direct, la chute de deux forts près de Verdun :

« À 16h55, un pigeon apporta un renseignement griffoné sur une feuille de compte-rendu salie & qui disait que le feu augmentait sans cesse d’intensité dans tout le secteur de Thiaumont à Fleury […] À 17h00 [le lendemain] ont reçu par pigeon un compte-rendu disant que les Français étaient en possession de l’Escarpement à l’ouest de Douaumont »

Autre acteur incontournable de la Grande-Guerre ; le cheval. De l’attelage d’artillerie lourde à la cavalerie, les équidés sont utilisés à toutes les sauces. Comme le souligne un cavalier britannique, cet animal à du supporter tout ce qui l’effrayait :

« Des bruits violents, de fortes explosions & des flashs lumineux la nuit, car la lumière blanche des éclatements doit causer une violente douleur aux yeux sensible que les chevaux possèdent. Surtout, il y avait l’odeur du sang, terrifiante pour tous les chevaux ». 

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Stubby & ses décorations.

Les chiens ne sont pas moins héroïques. À l’instar de Stubby, croisé Terrier de Boston venu des Etats-Unis, il est le chien de guerre le plus décoré de la Première Guerre Mondiale & le seul canidé à avoir atteint le grade de Sergent. Stubby a servi 18 mois dans les tranchées du nord de la France. Après avoir survécu à une attaque au gaz, il apprit à prévenir ce genre d’offensive à son unité. Il sauva des soldats blessés & fut le seul responsable de la capture d’un espion allemand.

DEVOIR DE MÉMOIRE : 

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Lizzie, une éléphante d’un cirque, est enrôlée pour aider au tractage avec les ferailleurs.

Déjà, pendant la guerre, une certaine gratitude se fait sentir envers les animaux (mascottes, cérémonies officieuses, lettres de félicitations, etc…), mais c’est après le conflit que la reconnaissance devient publique. Certains animaux sont décorés pour leurs services rendus. Les vétérans vainqueurs publient quelques histoires & exploits des soldats non-humains. Ils soulignent l’importance de la contribution animale à la victoire & de faire en sorte que personne n’oublie.

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Animals In War Memorial à Londres

Des plaques & des monuments commémoratifs font peu à peu leur apparition aux quatres coins du monde, célébrant la bravoure de ces animaux, tel le monument aux chiens dans un cimetière écossais, une statue dédiée aux pigeons voyageurs à l’entrée de la Citadelle à Lille, ou encore une plaque en l’honneur des ânes (grands méprisés de la guerre) sur le lieu de leur hôpital à Verdun. Lors du 90ème anniversaire de la Grande Guerre, l’Animals In War Memorial voit le jour à Londres, portant la gravure « They had no choice » (« Ils n’avaient pas le choix »).

Difficile d’estimer la perte animale après l’armistice (à cause du manque de documents). Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le sacrifice des animaux de guerre a permis de réduire le nombre de morts humaines. En cette journée de centenaire, célébrant l’armistice de la Première Guerre Mondiale, souvenons-nous donc de ces êtres qui se sont battus aux côtés des hommes entre 1914 & 1918, ainsi que les mascottes & les animaux civils, victimes eux aussi des offensives. N’oublions pas non plus qu’aujourd’hui, de nombreux animaux sont encore injustement exploités & tués pour servir des conflits qu’ils ne comprennent pas & dans lesquels seuls leurs cousins humains sont concernés.

Original caption: A dolphin training in the Black Sea. January 1, 1996 SEBASTOPOL, CRIMEE, Ukraine
Original caption: A dolphin training in the Black Sea. January 1, 1996 SEBASTOPOL, CRIMEE, Ukraine

Sources & suppléments d’informations :

Le livre Bêtes de tranchées, des vécus oubliés, Eric Baratay (CNRS Editions) : ICI

Site de l’association d’anciens combattants « Le Souvenir Français » : ICI

Site de la Western Front Association (Anglais) : ICI

Monument aux animaux de la Première Guerre Mondiale à Couin (Somme) : ICI

Article « La Grande Guerre des animaux » dans Le journal CNRS : ICI

Article « Les animaux, héros oubliés de la Grande Guerre » dans le Journal des Animaux : ICI

Article « Le cheval, l’oublié des champs de bataille » sur le Blogue de Carl Pépin : ICI

Article « Dossier, les animaux de guerre » sur Passion Animaux : ICI 

Article « Quand l’armée enrôle les dauphins » sur Sciences et Avenir : ICI

Article « Animaux détecteurs d’explosifs » sur Dinosoria : ICI

Article « Les animaux & la guerre » sur Horizon 14-18 : ICI

L’histoire de Stubby : ICI

Site de la RSPCA : ICI

Les animaux « mascottes de guerre » :ICI

L’histoire de Rintintin : ICI 

Article sur Maurice Drans : ICI

Article sur les soldats & les chiens de guerre (anglais) : ICI

Pour retrouver les sources des photographies, il suffit de cliquer sur celles-ci 🙂

15 réflexions sur “Les Poilus oubliés de la Grande Guerre

    • Merci & merci au Rat Prof de s’intéresser à ce sujet dont on parle peu. Qu’il n’hésite pas à checker dans la partie suppléments d’info car j’ai plus axé mon article sur le quotidien & le ressenti des animaux, donc j’avais choisi de ne pas trop approfondir leurs tâches pendant la guerre 🙂 . Il y avait tellement à dire, que j’ai du faire ce choix.

      Et chapeau, tu as remarqué mon clin d’oeil à Kafka ! Quand j’ai vu cette photo de colley avec ce masque à gaz, je me suis sentie obligée de la mettre en couverture. Comme tu dis, c’est Kafka (qui sait, peut-être un de ses ancêtres ) !

      Bises à toi & au Rat Prof 🙂

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  1. Oui moi aussi je me suis demandée si tu n’avais pas déguisé Kafka pour une séance photo historique. Ton article est formidable, très intéressant (je l’ai dévoré, mot à mot pour ne rien rater), et les photos sont géniales. Une fois encore, les animaux nous ont été fidèles, affrontant l’enfer, au prix de leur vie. Je ne me doutais pas d’une telle implication… En tout cas, très bel hommage, le titre parle de lui même.
    Bises,
    Ciiko

    Aimé par 1 personne

    • Merci Ciiko !

      C’est vrai qu’on oublie trop souvent l’importance des animaux dans les guerres (encore aujourd’hui ils sont dévoués aux soldats). Je me demande si je ne vais pas faire un nouvel article hommage lors de l’armistice de la seconde guerre mondiale. A méditer…

      Bises à toi & Wally,
      Marion

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  2. Oui, tu devrais le faire (enfin, c’est du boulot quand même, si tu trouves le temps).
    En France on sait rendre hommage à nos « soldats tombés pour la France », mais on en oublie..
    Moi même, j’aime ces devoirs de mémoire, et pourtant jamais vraiment entendu parlé de tous ces « poilus oubliés » (formule au top, drôle et tellement vraie)
    Bises,
    Ciiko

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    • Le temps je le trouverai je pense, c’est surtout les sources qu’il va falloir trouver 🙂 .
      J’ai vu plusieurs hommages aux animaux sur les réseaux sociaux aujourd’hui, donc c’est super, le devoir de mémoire commence pour ces animaux.

      Bonne soirée 🙂

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