Pour cette année 2017, j’ai pris comme résolution de lire au moins un livre par mois. Parmi les livres de ma PAL (comprenez Pile à Lire) figurent de nombreux ouvrages en rapport avec la condition animale : récit, témoignages, essai philosophiques mais aussi livres historiques comme ceux écrits par Eric Baratay, un nom qui ne vous est, peut-être, pas inconnu si vous aviez lu mon les annexes de mon article sur les poilus oubliés de la Grande Guerre. Ainsi, après avoir lu deux livres de cet auteur (Bêtes de tranchées ; des vécus oubliés & L’histoire du point de vue animale), je me suis décidée à vous en parler.
UN HISTORIEN ANIMALISTE
Avant d’attaquer le vif du sujet ; qui est Eric Baratay ? Eric Baratay est un historien qui s’est spécialisé dans l’Histoire des relations entre l’homme & l’animal. Ses travaux se concentrent principalement sur les périodes entre le XVIIIème siècle jusqu’à notre époque contemporaine. Il est également mâitre de conférence à l’Université de Lyon.
La méthode Eric Baratay pour relater l’Histoire animale est de s’appuyer non seulement sur les témoignages historiques des peuples (rapports, articles de presse ou lettres par exemple), des vétérinaires de l’époque mais aussi d’utiliser les connaissances des sciences modernes comme l’éthologie ou la zoologie pour dépeindre avec le plus de réalisme possible ce que vivaient nos compagnons dans les siècles passés.
DES PROLÉTAIRES ET DES MARTYRES
Alors qu’Eric Baratay nous présentait la vie inhabituelle des animaux utilisés pendant la Première Guerre mondiale dans Bêtes de tranchées, cette fois-ci dans Le point de vue animal, l’historien s’intéresse au quotidien des animaux en France à partir de la révolution industrielle, où l’animal est de plus en plus sollicité pour aider au développement & à la production des entreprises. Les animaux sont utilisés partout : de la Compagnie Générale des Omnibus (CGO), aux mines de charbons en passant par les fermes. Ces autres prolétaires subissent non seulement la dureté des travaux au même titres que leurs collègues humains, mais ils souffrent aussi de nombreuses violences physiques & psychologiques, parfois infligées directement par les hommes, mais aussi à cause de leurs conditions de travail. Dans les mines par exemple, les chevaux se blessent régulièrement à cause d’un environnement trop étroit & stressant pour eux.
« La marche de l’histoire s’est traduite pour ces bêtes par une dureté des travaux, une violence aseptisée, douce, normalisée, des utilisations qui les ont transformés en sous-prolétaires sur lesquels l’éssor économique a été construit, mais aussi en objet de consommation, vite usés, vite remplacés »
Dans les élevages bovins, le développement des usines ruminales amène à la création de nouvelles races bovines plus performantes par les zootechniciens. Chaque race est créée pour convenir à une tâche bien précise. D’un côté la viande, de l’autre la production de produit laitier, dont la consommation se vulgarise de plus en plus à partir du XIXème siècle. Tout ceci n’est pas sans conséquences dramatiques pour les animaux. Les vaches laitières s’épuisent face aux lactations forcées & on commence à les séparer de leurs veaux afin que leur lait ne soit pas « gâché » & qu’il ne revienne qu’à la consommation humaine. Certaines n’acceptent pas ces nouvelles méthodes & en payent le prix :
« Les « meilleures mères » se retiennent pour ne donner qu’à leur veau, notamment celles qui vêlent pour la première fois. Elles se font violenter par les hommes, qui empêchent leurs veaux de téter pour leur créer de douloureux engorgements des pis, les obligeant à céder […]. Certaines se tarissent dès qu’on leur enlève définitivement ce veau & ne répondent pas aux sollicitations physiques ; elles sont alors vendues au boucher, inaugurant ainsi une sélection psychologique des laitières. »
Le XIXème siècle marque aussi l’importation en France d’une tradition espagnole : La Corrida. De 1853 (où la première corrida a lieu à Bayonne pour le mariage de Napoléon III avec l’espagnole Eugénie) jusqu’aux années 1950, la corrida fait débat & se déroule de manière officieuse, tolérée au sud & avec des tentatives réitérées mais repoussées au nord. Malgré l’accueil plutôt réservé face à un spectacle aussi sanglant, elle parvient à se faire légaliser en 1951 sous la pression des aficionados très actifs auprès des élus locaux. Les taureaux de corrida appartiennent à des races sélectionnées à partir du XVIIIème siècle. Leur physique diffèrent des autres taureaux : leurs cornes sont de moins en moins longues & de moins en moins relevés, afin de minimiser le risque de blessure pour les toréros. Ils sont aussi sélectionnés pour leur caractère plus fougueux, ce qui n’empêche tout de même pas que certains refusent de se battre & tentent de fuir une fois dans l’arêne.
ÉVOLUTION DU STATUT DE L’ANIMAL
« Si l’histoire est souvent épreuve, fatigue, souffrance, agonie pour l’animal, si elle s’agit alors de machine à broyer des vivants considérés comme de simples objets transformables, utilisables, consommables, elle n’est pas que cela & ce serait faire une caricature de ne voir que cet aspect. »
Car même si la pensée d’animal-machine de Descartes est encore très présente aux XVIIIème, XIXème & à la première moitié XXème siècle, les animaux commencent aussi à être perçus comme des individus, de êtres sensibles qui ressentent la douleur & les émotions. En témoigne la loi Grammont en 1850, qui n’est autre que la première loi pénale pour la protection des animaux en France, ce qui a d’ailleurs fait bondir l’aficionados Gaston Doumergue : « On comprend que les hommes aient si peu d’amis quand les animaux en ont tant ! ».
D’autres part les chiens, longtemps méprisés & dévalorisés dans l’Hexagone, commence à voir leur traitement changer petit à petit, avec leur héroïsme pendant la Grande Guerre & lorsque la bourgeoisie instaure l’idée de chien de compagnie. Ainsi, alors que les chiens trouvés érrants étaient souvent pendus collectivement (200 à 300 dans une même salle), parfois dans le même noeud coulant dans le Paris du XIXème & début du XXème siècle, sa condition évolue grandement à partir de la suppression de la taxe sur les chiens en 1958 & contribue à de meilleurs traitements.
Par ailleurs, même chez les animaux prolétaires, il n’était pas si rare que des humains prennent la défense des animaux. En 1914 & 1927 des syndicalistes de la CGT ont même dénoncé les mauvais traitements (chevaux frappés), la malnutrition, surcharge des bêtes qui conduisaient souvent à des blessures, maladies. Ces délégués appelaient « leur camarade toucheurs » à ne pas brutaliser leurs « camarades de misère ».
EMPATHIE SANS ANTHROPOMORPHISME
« Le versant animale de l’histoire rejaillit directement sur les hommes »
Toutes les épreuves traversées par les hommes avec les animaux, ont permis de nouer des liens & des affinités. Les progrès de l’éthnologie & de la zoologie ont fait évoluer notre compréhension de l’animal & notre vision de ce dernier. L’histoire animale ne devrait pas être méprisée ou délaissée, car elle nous donne accès à des connaissances non négligeables sur le monde qui nous entoure :
« L’histoire animale complète & enrichit l’histoire humaine, mais elle a aussi son autonomie & son intérêt propre, aiguisée par l’intérêt toujours plus fort pour les animaux & les inquiétudes croissants sur l’avenir de la biodiversité »
Les recherches d’Eric Baratay & les documents sur lesquels il s’appuie nous démontrent objectivement cette idée. L’historien ne tombe jamais dans l’anthropomorphisme & ce que j’appelle L’empathie facile. Les faits suffisent à nous faire comprendre ce que les animaux ont vécu à nos côtés & ce qu’ils vivent toujours aujourd’hui, & nous donne les clefs pour appréhender un futur plus en accord avec nos cousins non-humains.
Sources & supplément d’infos :
« Le point de vue animale : une autre version de l’histoire » , Eric Baratay (Seuil, 2001)
« Bêtes de tranchées, des vécus oubliés », Eric Baratay (CNRS Edition, 2013)
L’Animal-machine de Descartes sur Wikipédia : ICI
Jacques Delmas de Grammont (loi Grammont) sur Wikipédia : ICI
Belle présentation…qu en apprend déjà beaucoup …
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Robert,
Franchement je te conseille ce bouquin. Toi qui aime en apprendre toujours plus sur le sujet, tu vas être servi 🙂
Bises,
Marion
J’aimeJ’aime
Une bonne chose de parler de l’histoire de l’animal dans l’Histoire, il serait dommage d’oublier leur rôle dans les différentes époques, et même leur héroïsme :o)
J’aimeAimé par 1 personne
Je trouve aussi. Après tout, l’histoire n’est pas que celle des « grands hommes ».
Bises Nat’ 🙂 ,
Marion
J’aimeJ’aime
Celle des chevaux (par exemple) a été malheureusement au moins aussi terrible que celle des hommes. Bonne fin de semaine. Bises :o)
J’aimeAimé par 1 personne
Très intéressant, merci car je ne connaissais pas ce bouquin. Et il est vrai que l’Histoire est un point de vue rarement traitée sur la condition animale. Si ce n’est peut-être l’histoire contemporaine avec l’utilisation pour le cinéma notamment.
Belle semaine Marion
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, je suis contente que des historiens comme Baratay s’intéressent enfin à ce sujet encore peu exploré. Pour le moment je n’ai pas encore trouvé sur l’histoire animale (& de sa condition) avant le XVIIIème siècle, mais j’espère qu’un historien s’intéressera à ces périodes passées (il y a de quoi faire je pense avec le Moyen-âge ou l’Antiquité).
Bises,
Marion
J’aimeJ’aime
Eric Baratay fait un travail formidable ! Bel article.
K&M
J’aimeAimé par 1 personne
Autre historien qui s’intéresse aux animaux du 18e au 20e siècle : Damien Baldin qui a aussi écrit un livre sur ce sujet. Je joins un lien d’une interview de Baldin et Florence Burgat : https://www.youtube.com/watch?v=8HnMrjMrCKo
J’aimeAimé par 1 personne
Ah super, merci Marianne. Je vais regader cette interview tout de suite !
Bises,
Marion
J’aimeJ’aime
J’aime beaucoup la philosophe Florence Burgat. Elle a d’abord une compassion instinctive pour les animaux et se met à leur place. Après, elle est capable de décortiquer la pensée humaine et de répondre aux discours anti-animaux. Je suis végétarienne de longue date et deviens aujourd’hui végétalienne/végane. Ah oui, tu peux ajouter un livre de Burgat dans ta pile à lire ! Je m’attelle à « Plaidoyer pour les animaux » de Matthieu Ricard et à « Profession, animal de laboratoire » d’Audrey Jougla. Dur, dur… Bravo pour ton blog, Marion !
J’aimeAimé par 1 personne
On vient de m’offrir le livre d’Audrey Jougla, donc il est déjà dans ma PAL & je risque fortement d’en parler sur le blog une fois que je l’aurais lu. D’ailleurs je suis deg de rater sa conférence à Lille 3 le 2 février prochain.
Pour Florence Burgat, il faut vraiment que je m’y mette (Matthieu Ricard aussi d’ailleurs, j’aime déjà beaucoup les interventions de cet homme en télévision). Merci pour toutes ces suggestions, je les garde bien en tête pour mes prochaines lectures & merci d’apprécier le travail que je fais sur le blog ❤
Bises,
Marion
J’aimeJ’aime
Celui de Matthieu Ricard m’a pas mal remuée, surement parce que c’est lui :o)
J’aimeAimé par 1 personne
Il a du succès décidément ce Matthieu 🙂
J’aimeJ’aime
Merci pour ce partage de lecture, qui en apprend déjà beaucoup !
J’aimeAimé par 1 personne
De rien, j’ai essayé toutefois de ne pas trop en dire pour garder un peu de surprise si quelqu’un décide de lire cet essai un jour 😉
Bises,
Marion
J’aimeAimé par 1 personne
J’aime beaucoup les travaux d’Eric Baratay en général mais je n’ai lu de lui que des articles pour l’instant, hâte de réparer ça 🙂 j’entame le livre de Renan Larue sur le végétarisme et ses ennemis là
J’aimeAimé par 1 personne
Tu ne seras pas déçue de ses livres alors je pense 🙂 . Merci pour la découverte de Renan Larue que je ne connaissais pas. Il va rejoindre ma PAL !
Bises,
Marion
J’aimeAimé par 1 personne