Entretien avec Laureine Sautereau, réalisatrice du film « The Grind ».

Grind. Ce mot ne vous dit peut-être rien pourtant il décrit un massacre annuel au sein même de l’Europe. Le Grindadráp est une tradition féringienne visant à tuer un nombre conséquent de cétacés (principalement des globicéphales noirs) pendant leur période migratoire. Autrefois pour subvenir à un besoin vital (la consommation de viande étant l’une des seules ressources de l’île), aujourd’hui le Grind est pratiqué comme un sport & considéré comme une culture à part entière pour les féringiens.

C’est cette pratique monstrueuse que Laureine Sautereau, jeune réalisatrice de 25 ans fraîchement diplômée de la prestigieuse école d’art Emile Cohl à Lyon, a voulu dénoncer. The Grind, son premier film, relate les dernières heures d’une famille de globicéphales noirs, de leurs moments de plénitude jusqu’à leur mise à mort par des humains assoifés de sang. Mais qui mieux que la réalisatrice en personne pour parler de ce film engagé pour la cause animale ?

Bonjour Laureine. D’abord merci d’avoir accepté de nous parler de ton film. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur toi & ton parcours avant The Grind ? 

Alors, j’ai su très tôt que je voulais raconter des histoires, que ce soit à travers le jeu vidéo ou le monde de l’animation (mon grand père m’emmenait toujours voir le dernier Disney en date). J’ai donc baigné toute petite dans ces deux univers qui me passionnaient & qui me donnaient l’impression que tout était possible avec l’imagination. J’ai très vite compris que derrière ces films & jeux vidéos, travaillaient dans l’ombre des centaines de personnes qui racontaient des histoire & donnaient vie à des personnages & des univers. À partir de ce moment tout a été clair pour moi ; je voulais faire ce métier, alors je me suis mise à dessiner en recopiant tout & n’importe quoi.

Arrivée au lycée, je suis allée en Baccalauréat Littéraire spécialité Cinéma-Audiovisuel avec la même option facultative. J’avais 8 heures de cours de cinéma par semaine. À ce moment là, je me suis vraiment intéressée à la mise en scène, puis à l’animation. En fait, ce qui me plaisait le plus c’était de donner vie à mes dessins. Je me disais alors que je pouvais tout faire. Je me suis donc mise à lire des livres, à faire pause sur les DVDs pour décortiquer le mouvement des personnages, image par image.

Après avoir décroché mon Bac & avoir profité d’une année sabbatique pour préparer mes concours d’entrée, j’ai intégré Créajeux à Nîmes, qui est une école de jeux vidéos. Ce fut une chouette expérience qui a duré 3 ans & qui m’a donnée mon premier diplôme supérieur de Concepteur réalisateur 3D précalculée.

Malheureusement à la sortie de cette école, j’avais encore quelques lacunes en dessin & je suis donc allée à Emile Cohl à Lyon qui est une des meilleures école pour l’art académique. On nous enseigne vraiment le dessin à l’ancienne, sur chevalet. On y apprend l’utilisation du fusain, de la peinture à l’huile, mais aussi le modelage sur argile & on a la chance d’avoir beaucoup de modèles vivants. Encore 4 années d’études où j’ai suivi le cursus cinéma d’animation 2D, avant d’obtenir mon dernier diplôme grâce à The Grind.

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Justement, ton film The Grind traite du massacre des cétacés aux îles Féroé. Pourquoi avoir choisi un sujet comme celui-ci ? 

Depuis toujours ma deuxième passion ce sont les animaux. Du coup, j’étais déjà pas mal engagée dans diverses causes. J’ai découvert le Grind quelque temps avant mon projet de fin d’études. À la base, je n’étais pas du tout partie pour faire un film au profit de la cause animale, ni même écologique. Je voulais interpréter un poème de Baudelaire, mais mon idée fut recalée dés le début car jugée trop violente.

Mais ce ne fut pas plus mal car cela m’a permis d’avoir l’idée du Grind. Je me suis dit : « Ok, autant faire un film utiles. J’ai dans mes mains un outil qui permet de diffuser un message & j’ai envie de le mettre à profit. Et puis ils trouvent ma première idée trop violente ? D’accord, je reviens avec une encore plus violence & là ils ne pourront rien dire car ce n’est rien d’autre que la vérité » & effectivement ils n’ont rien pu dire lorsque je suis revenue avec The Grind, puisque c’est réellement  ce qui se passe actuellement. Au contraire, ils ont trouvé cette seconde idée très intéressante.

Et pourquoi avoir choisi de parler du Grindadráp & pas d’un autre massacre relatif à la cause animale ? En fait, il y a des millions de sujets que j’aimerais traiter pour la cause animale comme le massacre des éléphants, des phoques, ou encore le festival de Yulin, mais je ne pouvais pas tout faire & m’éparpiller. Je devais faire un choix pour bien faire passer le message. De plus, cette pratique est encore trop peu connue, alors si ça pouvait permettre à certaines personnes de se rendre compte de cette réalité, ce n’était pas plus mal. En outre, j’aimais le côté artistique de l’océan & la fluidité des globicéphales dans l’eau. J’arrivais bien à me le figurer. Le fait que ce soit une fête familiale aussi m’a convaincue de parler de ce sujet.

J’imagine que ça n’a pas du être facile de travailler sur ce thème. Tu as certainement du regarder des vidéos. Comment tu t’y es prise pour mettre en scène ton film ? Quelles ont été tes inspirations au niveau de l’esthétisme ? 

En effet, au début il y a un gros travail de recherches. Dans un film d’animation, il faut tout faire. J’ai d’abord collecté un maximum de photos de référence du grind, des globicéphales, de l’eau dessus, dessous, des bateaux, des outils qu’ils utilisent. J’ai ensuite regardé tous les documentaires que je pouvais trouver, que ce soit du côté des féringiens comme celui des activistes. Je me suis retrouvée avec un dossier rempli d’images dégueulasses. Étrangement cela ne m’affectait pas autant que je l’aurais imaginé. Mon cerveau devait comprendre qu’il fallait se mettre un peu en retrait pour ne pas prendre toute cette violence de plein fouet & a du me ménager pour que je sois plus efficace. Et puis, j’avais une rage folle de dénoncer ces atrocités.

J’ai mis du temps à arriver au résultat graphique du film. Je voulais trouver l’écriture graphique qui me permettait de pousser cette violence à son paroxysme & je ne devais pas y aller à moitié. Il fallait que je me positionne dans mon film & j’ai donc décidé de plonger la caméra sous l’eau, comme ni nous faisions partie de cette famille de globicéphales, comme si nous en étions un nous-même. C’était une évidence pour moi. J’ai puisé mon inspiration dans énormément de choses différentes & j’en suis venue rapidement au noir & blanc, puis au négatif avec comme seule touche de couleur, le rouge pour marquer cette violence. Le contraste entre le noir & le rouge est ce qu’il y a de plus fort dans la nature. J’ai beaucoup cherché de ce côté. Je me suis inspirée aussi de Gustave Doré, de Francis Bacon, mais aussi de certains passages de The Walking Dead.

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Au niveau de la bande son aussi tu as eu un travail de réflexion. Comment as-tu travailler
le son pour qu’il colle à ton univers graphique ? 

Alors là ce fut la meilleure collaboration de toute ma vie ! Évidemment dés le début je savais que la musique allait être 50% de la réussite du film.Du coup on a eu des rencontres avec des élèves d’écoles de musiques pour le cinéma et c’est là que j’ai rencontré Yanier Mayas Hechavarria, un élève cubain qui a été séduit par mon idée. Il a tout de suite compris ce que je voulais. Il m’a fait une première proposition que j’ai tout de suite choisie. Je n’ai presque rien eu à lui dire, toutes les superbes idées qui sont dans le son viennent de lui

Ton film a eu l’occasion d’être diffusé depuis quelques temps (notamment sur internet). Quelles ont été les premières réactions du public ? 

Mon premier public a été mes proches, qui m’ont suivie tout au long de cette année difficile. Ils ont été très fiers de mon travail. À l’école lors de la diffusion de fin d’année c’était assez drôle, ils étaient à la fois choqués & incrédules. Au début, pour ceux qui ne connaissent pas ces pratiques, ils pensaient que c’était juste un truc gore pour faire choc & à la fin, quand le message explicatif arrive & qu’ils comprennent que c’est la réalité, il y a eu de longues secondes de silence, alors que d’habitude ils applaudissaient directement à la fin du court métrage des autres. Là, je crois qu’il leur a fallu un moment pour s’en remettre, mais il a été super bien accueilli & beaucoup de gens m’ont félicitée. Finalement The Grind a marqué les esprits & c’est ce qui compte.

Tu penses que ça les a poussés à se renseigner davantage sur le massacre des globicéphales & de manière plus générale sur les autres tueries de cétacés aussi ? (comme à Taiji ou en Namibie par exemple)

Bonne question… Je ne sais pas trop,. Peut-être oui lorsqu’ils voient le film sur Viméo. Quand tu es sur internet c’est plus facile d’aller chercher des infos & de voir les vaies images du massacre. Ce qui est sûr par contre, c’est que je me suis rendue compte que beaucoup de gens sont ignorants de la condition animale dans le monde. Ils se rendent pas compte à quel point l’Homme peut être dérangé & même moi je suis suprise de découvrir encore plus horrible parfois. Alors, j’espère qu’avec mon court métrage, ils se questionneront & se rendront un peu compte de ce qui existe dans ce monde & que l’homme est un loup pour l’homme

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The Grind a récemment été sélectionné pour le Festival du film court de Villeurbanne & sera diffusé en salle le 20 Novembre prochain. Comment as-tu réagis face à cette annonce ? 

J’ai été vraiment surprise ! En fait, je crois que j’ai lu le mail qui me l’annonçait un soir où je buvais une bière avec des potes, alors je n’ai pas vraiment réalisé sur le coup, mais ouais c’est chouette ! Après je n’ai aucune appréhension car je n’attends aucune récompense. Je suis déjà très contente qu’il soit sélectionné. C’est une reconnaissance en soit, mais ce qui importe le plus c’est qu’il soit diffusé. Le plus important, c’est la transmission du message, donc j’ai hâte de le voir au cinéma dimanche

J’attends également la réponse de deux autres festivals où The Grind a été pré-sélectionné ; celui de Panam Anim & le Temps Presse festival, qui est justement un festival sur l’écologie.

Félicitations ! Et pour finir cet entretien, que fais-tu actuellement ? As-tu d’autres projets de réalisation en relation ou non avec la cause animale ? 

En ce moment je bosse chez Ubisoft en tant qu’artiste 3D & ça me plait énormément. Cependant je n’ai pas envie de délaisser mon côté réalisatrice, même si ces derniers temps je dessine beaucoup moins & j’anime plus. Ce qui est sûr c’est que j’ai des projets qui hibernent en tête, mais je les laisse mûrir un peu.

Merci Laureine pour cet entretien super intéressant & qui a permis de remettre un peu la lumière sur cette abjecte tradition qu’est le Grindadráp. J’espère que ton film sera récompensé à Villeurbanne & qu’il interpellera le public.

En tout cas, pour ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir assister à la séance du 20 Novembre au Festival du film court de Villeurbanne, The Grind est disponible gratuitement sur Viméo . Je vous encourage vivement à le regarder &  à le partager autour de vous.


Supplément d’infos :

« Laureine Sautereau nous parle de son court-métrage The Grind » sur le site de la Dolphin Connection :ICI (le compositeur du film , Yanier Mayas Hechavarria intervient aussi)

« The Grind : film d’animation fort dénonçant le Grindadrap des îles Féroé » sur Cheeky : ICI

Programme film en compétition images virtuelles 1 : ICI

Page Facebook artistique de Laureine Satereau : ICI

2 réflexions sur “Entretien avec Laureine Sautereau, réalisatrice du film « The Grind ».

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