« Profession : Animal de laboratoire » : au coeur de l’expérimentation animale avec Audrey Jougla.

L’expérimentation animale ; un sujet controversé en France à cause des questions morales qu’elle soulève. Il y autant de personnes qui jugent que l’expérimentation animale est un « mal nécessaire« , que de militants qui luttent pour l’abolir. Pourtant, force est de constater que nous ne connaissons presque rien de ce milieu qui ne laisse filtrer que très peu d’informations sur ses pratiques. Des chiffres, des « on dit » & des images abominables circulent, mais finalement que peut-on réellement penser de l’expérimentation animale sans la connaître de l’intérieur ? Cette question, Audrey Jougla a décidé d’y répondre en infiltrant les laboratoires animaliers & en a fait un livre saisissant Profession : Animal de laboratoire.

UNE INFILTRATION DANS DES LABORATOIRES

« Chaque année, environ douze millions d’animaux servent aux expériences dans l’Union Européenne et, contrairement aux recommandations de la législation, ce chiffre ne cesse de croître »

C’est sur ce constat terrifiant que commence l’essai d’Audrey Jougla. Cette ancienne journaliste en pleine reprise d’études de philosophie, décide donc de consacrer son mémoire de recherche sur la question de l’expérimentation animale comme « mal nécessaire ». Problème ; Audrey Jougla est une militante animaliste très active & a de nombreux amis dans le milieu, alors comment s’infiltrer dans le monde des animaliers de laboratoire sans être démasquée ? Sur les conseils de son ami Marco, un militant ayant fait partie de Sea Shepherd, elle coupe tout contact avec la communauté animaliste & vegan. Ainsi peut commencer sa mission.

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Manifestation contre un élévage d’animaux de laboratoire.

« Profession : animal de laboratoire » a une approche très efficace pour comprendre ce qu’est la vivisection, en mêlant immersion, études scientifiques & chiffres officiels :

Parlons de l’immersion de l’auteur, qui nous donne la possibilité de voir ce que les laboratoires pharmaceutiques aimeraient nous cacher. Audrey Jougla nous fait part de ses émotions au fil de son essai & très vite nous sentons autant etouffés & déconcertés qu’elle dans cette ambiance assez glauque qui justifie la torture infligée à des êtres sentients, considérés comme de vulgaires outils scientifiques.

« Puis, la porte de l’animalerie qui s’ouvre et , enfin, après tous ces mois passés à parler des fameux singes de laboratoire, enfin donc, je les vois. Avec une stupéfaction que j’essaie tant bien que mal de dissimuler, une image me saute aux yeux : ils ont tous le crâne ouvert. Enfin non, plus précisément, ils portent tous ces appareils implantés que je voyais en manif sur les pancartes. On ne m’avait pas prévenue qu’ils seraient comme ça. Vite, Audrey, vite, dis quelque chose de banal, de normal, souris, respire, tout va bien. Tout va bien. »

Au fur & à mesure du livre, Audrey Jougla nous emmène dans l’expérimentation pour le domaine médicale, la recherche fondamentale, ainsi que les expériences de toxicité (pour évaluer la toxicité d’un produit détergent par exemple). Ces dernières, bien qu’inutiles, représentent à elles seules 87,5% du nombre total des expériences menées & utilisent environ 1 million d’animaux par an, rien que dans l’Union Européenne. Et pourtant, dans ce type d’expérience, des alternatives bien plus efficaces existent. Par exemple, les biophysiciens Jean-François Tocame & Christophe Furger ont mis au point Valitox, un test qui permet de détecter la toxicité d’une substance sans passer par les animaux. En 2008, il est prouvé que ce test est fiable à 82% contre seulement 65% pour les tests sur les souris & 61% pour ceux sur les rats.

On y découvre aussi l’horreur du Téléhon. Derrière l’émission de télévision, la bienveillance & les dons récoltés, ce sont ces chiens, utilisés pour la recherche myopathique, qui vivent une existence de misère où seule la souffrance leur est familière :

« Les chiens aboyaient, inlassablement, approchaient leur tête vers ma main, depuis leur cage. Avec leur collerettes & leurs bodys, & leur suffocation. J’avais envie de pleurer. Je me disais qu’il valait mieux, pour eux, en finir vite. Quand on naît animal de laboratoire, mieux vaut ne pas trop durer. »

ENTRE DÉNONCIATIONS & REMISES EN QUESTIONS

Mais la force de cet essai réside dans sa sincérité & dans ses remises en question. Audrey Jougla partage avec nous, sans concession, ses moments de doutes & ses coups de mou. Plusieurs fois, on sent que l’auteur se demande si les militants de la cause animale n’en font pas finalement un peu trop sur la vivisection. Après tout, la souffrance animale permet la guérison humaine & la souffrance des patients à l’hôpital est elle aussi à prendre en considération. N’est-il pas juste pour une personne atteinte d’un cancer d’avoir un traitement efficace ? Même si celui-ci est passé par la case expériences animales ?

Mais c’est sans compter le moment où nous découvrons le pouvoir des lobbys pharmaceutiques. Ce sont eux en effet qui tirent les ficelles & qui décident quelles expériences doivent être menées en priorité (et Audrey Jougla l’explique assez bien dans le livre). On apprend en premier lieu que les expériences concernant la recherche & le développement de la médecine humaine ne représentent que 18,8% du total des expériences menées.

En outre, on assiste à une véritable hiérarchisation des maladies élaborée par les lobbys. Ainsi, alors qu’Alzheimer & Parkinson affectent moins d’1% de la population mondiale (& une population surtout âgée), la France a pourtant déclaré Alzheimer comme priorité nationale de 2008 à 2012 & lui a consacrée davantage de fonds que pour la recherche contre la Malaria par exemple, qui comptent pourtant plus de 600 millions de nouveaux malades chaque année. Pourquoi ? Parce que l’Alliance Européenne contre la maladie d’Alzheimer est financée à hauteur de 30% par les lobbys pharmaceutiques. Le but est de vendre mieux & plus de médicaments, & ces derniers ne se vendront pas dans des pays où la population n’a pas les moyens de les acheter. Le productivisme passe avant la santé humaine. Et cette priorité de recherche élaborée selon les intérêts politiques & financiers & bien connue des animaliers de laboratoire qu’Audrey Jougla aura l’occasion de cotoyer durant son infiltration :

« Animalier : Tu sais, nous on a des budgets, et on fait les protocoles. Après les décisions politiques, la compétition entre les maladies même, tout ça… C’est du lobbying.

– Audrey : Donc les expériences sur les animaux sont plutôt commandées par la force des lobbys des maladies que par « utilité pour l’humanité, on est d’accord ?

– Animalier : Oui, mais… c’est comme tout. »

On se rend compte d’ailleurs que certains animaliers doutent aussi & sont parfois assez lucides sur ce que les animaux de laboratoires endurent quotidiennement.

« Pour nous c’est comme de la prison… (silence). Sauf qu’il est innocent » soupire Jean-Louis » (à propos de Yeti, un singe utilisé pour la recherche fondamentale).

Ces scientifiques formés à la banalisation de la souffrance, n’en restent pas moins humains & jamais Audrey ne les condamnera de manière arbitraire & j’ai apprécié cette approche.

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EN CONCLUSION

Au final, Cette plongée au coeur de l’expérimentation animale nous permet de prendre conscience de l’enfer vécu par ces victimes sacrifiées sur l’autel de la science. Et les études, les alternatives mises en place, ainsi que les chiffres officiels livrés par l’auteur, nous donnent les clefs pour faire comprendre qu’elle n’est peut-être pas si nécessaire qu’elle n’en a l’air. Par ailleurs, aujourd’hui, 86% des français estiment que toute forme d’expérimentation engendrant la souffrance d’un animal devrait être interdite (sondage IPSOS commandé par One Voice). L’expérimentation n’est-elle finalement pas qu’un mal désuet & injustifiable ? Un mal qui joue à la fois sur la faiblesse des animaux & celle des hommes ?

♦ ♦ ♦

« La réalité de l’expérimentation animale, c’est la culpabilité de certains animaliers et les non-dits de certains chercheurs. Ce sont les rongeurs aux yeux abîmés par les produits et la folie de l’isolement de certains singes. La réalité de l’expérimentation animale, c’est la nausée que j’avais en rentrant chez moi, mes cauchemars et la colère des militants »

Un grand bravo à Audrey Jougla pour avoir tenu le coup là où beaucoup auraient craqué.


Suppléments d’infos : 

Site officiel du livre « Profession : Animal de laboratoire » : ICI 

Enquête statistique sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques : ICI

« La face cachée du Téléthon : expérimentations sur des chiens cobayes » sur Holidog Times :  ICI

2 réflexions sur “« Profession : Animal de laboratoire » : au coeur de l’expérimentation animale avec Audrey Jougla.

  1. Merci pour ce billet sur ce livre. Que je n’oserai pas lire, car l’expérimentation sur les animaux est le sujet que je trouve le plus insupportable. Je me rappelle avoir vu un docu (datant un peu mais malheureusement la plupart des horreurs montrées existent encore) et vraiment, quelle nausée, je me suis effondrée en larmes, même si je m’attendais à du très lourd.
    J’espère que le plus de personnes possible liront ce livre, se renseigneront sur le sujet. Encore des souffrances monstrueuses… et pour rien ! Quelle tristesse…

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